COURBET ET PROUDHON : ART SOCIAL ET DISCOURS SOCIALISTE Mémoire de recherche présenté par Hélène de Foucaud Directeur du mémoire : M. Jacques Cantier, Maître de conférences
2010
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comme éducation » et renoncer à l'irréel. Par ailleurs, chaque homme doit rester indépendant et fidèle à lui-même, aux objectifs et à la ligne de conduite qu'il se fixe et ce, en rejetant la religion. Courbet dénonce le capitalisme qui permet aux propriétaires de s'enrichir tandis que les producteurs gagnent peu, et incitent les individus à accumuler les richesses plutôt qu'à les utiliser dans la société. D'un point de vue politique, il est pour une décentralisation en faveur des communes qui seraient le cadre référence de la vie sociétale. Il donne également une très grande importance à l'éducation des enfants qui doit être gratuite. Le travail est le moteur essentiel de la société, facteur de reconnaissance voire d'existence sociale, et utile à la communauté. En ce qui concerne l'art, Courbet applique les idéaux des Lumières cités plus haut : l'art doit être l'expression pure d'une individualité, l'artiste doit refuser les commandes et ne jamais céder au bon goût populaire s'il va à l'encontre de ses propres convictions. Pour ce qui est de la société, il se refuse à reconnaître des divisions en classes et préfère considérer les hommes individuellement « qui se distingue[nt] par [leurs] œuvres ou par [leurs] actions ». Enfin il distingue les hommes « parvenus » qui auront une postérité par leurs œuvres des hommes « non arrivés » qui n'auront pour seule postérité que « leur progéniture ». Cette lettre est donc très riche d'informations sur la façon dont Courbet perçoit la société. En rejetant le passé et la religion, il nie le poids de la tradition et appelle donc de ses vœux une société résolument tournée vers l'avenir et le progrès. Son idéal de liberté et d'indépendance est une nouvelle fois exprimé et complété par un idéal d'égalité qui serait assuré par une redistribution des richesses qui assurerait à tous des conditions de vie décentes sans intervention de la charité. Cette égalité ne serait d'ailleurs pas uniquement économique puisqu'il rejette le concept de classes en privilégiant une approche individuelle où chaque homme n'existe que par ce qu'il fait. L'éducation gratuite et obligatoire est un des leviers de cette égalité. Ainsi, sept ans avant la Commune, on trouve une aspiration à ce modèle politique. Ces conceptions sont proches des conceptions socialistes. L'hostilité envers l'Etat et l'idée d'une fédération de communes autonomes ne sont pas sans rappeler la pensée de Proudhon. Les recommandations concernant l'art servent la réflexion du philosophe et l'influencent probablement pour la rédaction de son essai « Du principe de l'art et de sa destination sociale ». Cette lettre est donc l'occasion de voir que l'influence ne s'est pas faite à sens unique et que par certains aspects Courbet a également pu influencer Proudhon. Cela reste, pour la période étudiée, la formulation la plus aboutie de la pensée politique du peintre
43:dans sa correspondance. Le peintre ressent d'ailleurs une certaine fierté à ce que Proudhon le défende et ainsi être à l'origine d'un des ouvrages de ce dernier. « Il entreprend de résumer l'art de ces tempsci, résumé que je lui ai suggéré »61. Il se réjouit également d'être dans la même ligne que Proudhon : « nous allons enfin avoir un traité de l'art moderne arrêté, et la voie indiquée par moi correspond à la philosophie proudhonienne ». On peut d'ailleurs dans cette phrase voir que l'art de Courbet n'est pas fait pour suivre la philosophie proudhonienne mais qu'il y « correspond ». Le discours socialiste semble donc se greffer sur un art social déjà existant. Proudhon trouve dans l'art de Courbet l'expression artistique correspondant à la pensée socialiste puisqu'au départ le philosophe n'avait jamais considéré l'art dans la société. L'arrivée de Proudhon dans l'entourage du peintre semble entraîner une substitution du réalisme par le socialisme. Le discrédit qui est porté sur Champfleury traduit ce glissement progressif. « Proudhon me dit qu'il m'a manqué un littérateur, que Champfleury n'y entend rien, qu'il ne sait pas écrire, qu'il n'a pas l'esprit de faire un ouvrage critique, et qu'il ne sait pas raisonner. Il ne m'apprend rien. Si j'osais j'en dirais bien davantage que lui. Comme je n'avais pas terminé mon action, ça m'était égal que Champfleury écrive ce qu'il voulait sur le réalisme (dans lequel il n'a jamais été), ce qu'il ne m'était pas égal c'est qu'il dévoyait par le fait le public sur mon compte, parce qu'on me croyait associé. » Le philosophe a donc très certainement joué un rôle dans la rupture des relations avec Champfleury quand on voit le peu d'estime qu'il lui portait et tout le crédit que Courbet prêtait à Proudhon. Le peintre va même jusqu'à dire que Champfleury n'a jamais appartenu au réalisme. Cette vision rétrospective sur son amitié avec l'écrivain renforce d'une part l'image du peintre comme celle d'un homme opportuniste et fier et d'autre part l'idée que le socialisme a pris le pas sur le réalisme et que désormais au-delà d'une quête de la vérité, Courbet veut être politique. C'est peut-être ce qui transparaît dans le Retour de la conférence : alors qu'au début de sa carrière, il suffisait au peintre de présenter la réalité de la condition ouvrière ou paysanne pour provoquer le scandale. Avec ce tableau tournant en dérision la religion il 61 Lettre à Max Buchon d'août 1863
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