W. V. QUINE,
Harvard University.
Traduit par Jacques DERRIDA et Roger MARTIN.
1964年にデリダはクワインの論文(というよりエッセイ)をフランス語に翻訳(Roger Martinとの共訳)している。クワインは後にデリダがケンブリッジ大学で名誉博士号を得ることに反対するが、この時は共闘関係があったことになる。
クワインの論文"Les Frontières de la théorie logique "は、英語では発表されていないとWEBにあったがどうなのだろうか?(内容はヘーゲル,フッサールを枕に、ゲーデルらを含む近代の論理学の歴史を扱っているようだが。)
元原稿は1962年イェール大学での講演記録のようだが、どこかに英文の原文があれば翻訳したいと思う(
google自動翻訳)。
1964. Les Frontières de la théorie logique / Frontieres dans la theorie logique. in Études Philosophiques (April-June 1964), 19(2): 191-208. French translation by Jacques Derrida and Roger Martin.
LES FRONTIÈRES DE LA THÉORIE LOGIQUE (1)
La logique a ete definie, pour la derniere fois peut-etre, par Dewey,la théorie de la recherche. Ainsi comprise, la logique couvre une foule de péchés intellectuels. Qu'est-ce qui, appartenant a la théorie de la connaissance, n'appartiendrait pas a la logique entendue comme theorie de la recherche? Et pour le métaphysicien de tendance idealiste,qu'est-ce qui, dans la métaphysique, n'appartient pas a la théorie de la connaissance? C'est ainsi que nous rencontrons un traite de métaphysique dans la Logique de Hegel ; et aussi dans les Recherches logiques de Husserl.
L'extension accordée par Hegel et Husserl au terme de ≪ logique≫ etait excessive ; nous pouvons en toute confiance en exclure la metaphysique. Mais la confusion ou la fusion de la logique avec la théorie de la connaissance est plus courante. Jusqu'a ces toutes dernieres annees, on parlait couramment de la logique comme se distribuant, en logique inductive et logique deductive ; et entre la logique inductive et la theorie de la connaissance, il n'y a pas de solution de continuite.
Certes, la logique inductive comporte des elements passablement formels et qu'on peut assez facilement separer. Il y a les canons de l'induction de Mill ; il y a aussi le calcul des probabilites et, en outre, le reste de la statistique. Mais la logique inductive, telle qu'elle est couramment definie, a encore un objet remarquable I le probleme de l'induction, le probleme de l'usage legitime du calcul des probabilites ; et ce probleme appartient a la theorie de la connaissance. En outre, la tache de la logique inductive s'eloigne par degres vers de vastes conside,rations sur la methode scientifique, sur ce qu,on appelle la methode hypothetico-deductive, sur la methode de l'hypothese ; et ces vastes considerations sont epistemologiques.
(1) Ce texte reproduit l'une des quatre conferences consacrees aux ≪ Frontières de la Philosophic ≫ sous les auspices de l'Universite de Yale. Elle fut prononcée le 13 novembre 1962.
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Considérée à la lumiere de l'activité courante, la partie de la logique qu'on a appelée déductive a moins d'affinité avec ce qu'on appelle la logique inductive que celle-ci n'en a avec la théorie de la connaissance. Une terminologie plus adaptée aux clivages actuels exigerait done que l'on distribuât(distribut) la logique inductive en statistique et en théorie de la connaissance, et que l'on reservât le nom de ≪logique≫ a la logique dite deductive. Si cet usage est restrictif, il ne l'est pas trop aujourd'hui dès que l'on est attentif a l'immense accroissement du domaine au cours des cent dernières années. Et, en fait, cet usage est devenu courant. Dorénavant, je m'y tiendrai.
Maintenant, si j'ai limite mon propos à la logique au sens de la logique deductive, je ne l'ai limite qu'a l'acception la plus large, la plus lâche de cette expression : à la logique que nous n'avons pas eliminee comme inductive. Par exemple, on doit penser qu'une telle logique inclut même ce que G. E. Moore appelait analyse logique, à supposer que cette activite merite en quoi que ce soit le nom de logique.
On peut, en comparant quelques exemples triviaux, mettre en évidence une difference importante entre l'analyse logique de Moore et la logique dans son sens plus etroit. ≪Aucun homme non maria n'est marie≫ est une phrase vraie selon la logique au sens etroit. Elle a ce trait caracteristique : elle reste vraie mime si nous substituons d'autres mots a ≪homme≫ , et ≪marié≫ , aussi longtemps du moins que nous ne touchons pas aux particules ≪ aucun≫ ,≪non≫ , ≪ne≫ , et ≪est≫ , c'est-a-dire a ce qu,on appelle les mots logiques. tour rassembler le tout en une phrase, nos vérités logiques dams le sens etroit sont des verites qui ne font essentiellement appel qu'à des mois logiques. Au contraire, ≪ aucun célibataire n'est marié≫ est une verite pour l'analyse logique au sens de Moore. Ce n'est pas une verite logique dans le sens ou les vérités logiques ne font essentiellement appel qu'a des mots logiques ;elle ne reste pas vraie quand nous remplaçons ≪célibataire≫ et ≪marié≫ par des mots arbitrairement choisis. Sa vérité repose plutôt sur une analyse des significations :≪célibataire≫ s'analyse en ≪homme non marié≫ , de sorte que ≪aucun célibataire n'est marié≫ s'analyse en ≪aucun homme non marie n'est marie≫, ce qui est logiquement vrai au sens etroit de l'expression.
Quelles sont done les frontières de l'analyse logique?Signalons d'abord l'existence d'un débat philosophique brûlant à propos du concept de synonymie --- entendue comme la relation d'identite de signification. Bien entendu, cette relation est la relation fondamentale ; par elle, la tâche même de l'analyse logique est définie ou peut etre dite telle par ironie. L'un des partis soutient que l'on n'a pas atteint au sens adéquat de la relation d'identite de signification.
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L'autre parti soutient le contraire. J'avoue que je me sens en sympathie avec le premier de ces partis. Mais ce débat n'est en aucune manière un débat a l'intérieur de la logique, mais un débat au suiei de la logique, a supposer que l'analyse logique de Moore soit de la logique.
Les héritiers actuels de Moore sont les philosophes oxoniens du langage courant. L'analyse logique de Moore, détermination directed,équivalences entre mots et phrases considérés dans une sorte de vide, tut remplacée a Oxford par la mise en rapport des énoncés avec les circonstances. Dans quelles circonstances pourrait-il etre naturel de faire telle ou telle remarque? L'influence la plus directe est ici celle de Wittgenstein et de sa doctrine : les problèmes philosophiques sont un désordre da au fait qu,on s'est écarté de l'usage naturel et ordinaire des mots.
J'ai fait état d'un débat du second ordre : la synonymie est-elle une notion pourvue de sens? Ce débat ne vise pas aussi directement l'analyse oxonienne que celle de Moore. Cependant, concernant l'analyse d'Oxford, un autre débat du deuxième ordre est devenu une question d'actualité :faut-il reconnaitre a cette analyse un intéret réel?
Ce débat du second ordre devint aigu en 1959, au moment ou Gellner pencha vers la negative, dams son livre Words and Things. Un débat du troisième ordre, fort vif, occupa, comme on le sait, les colonnes du Times : Ryle devait-il permettre que le livre de Gellner fat recensé dans la revue Mind? La encore, tine frontière : s'agit-il ou non de logique? In utile que je m'y arrête, l'affaire a fait assez de bruit.
Qu'en est-il done des questions du premier ordre dans ce secteurles questions de frontières a l'interieur de l'analyse oxonienne du langage ordinaire? Je connais des esprits qu'elles n'ont guère inquiétés. C'est un des agréments de leur doctrine que d'être, selon le mot de Russell, une philosophic sans larmes.
Replions-nous maintenant vers la logique au sens étroit. Je l'ai dit, les vérités logiques au sens étroit sont des vérités qui ne font appel, essentiellement, qu'a des mots logiques. Or, a l'intérieur ,même de cette catégorie, il est possible d'interpreter la logique plus ou moins étroites ment, en assignant des limites plus ou moins étroites au vocabulaire des mots logiques. Si l'on classe l’adverbe ≪nécessairement≫ dans le vocabulaire logique, la logique modale fait alors partie de la logique. Parmi les vérités typiques de cette partiel de a logique, nous trouvons des énoncés de la forme : ≪Si nécessairement p, alors p≫, dans lequel p tient lieu de n'importe quel énoncé ; de même, ≪nécessairement, si p alors p≫ ; Ou encore ≪Si, nécessairement si p alors q,alors, si nécessairement p alors nécessairement q≫ .
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Quiconque accepte l'existence de la logique modale considérera ces phrases comme appartenant au domaine de la logique, et considérera ≪ nécessairement ≫ comme appartenant au vocabulaire logique. Dans ce secteur, la frontière se borne a séparer ceux qui acceptent de faire entrer l'adverbe ≪nécessairement≫ dans un discours philosophique sérieux et ceux qui s'y refusent. Qu'on he permette une fois encore d'évoquer ma sympathie pour la position negative.
Il y a cinquante ans, Whitehead et Russell se hasardèrent a dire que les propositions fausses impliquaient toutes les propositions, et que les vraies étaient impliquées par toutes. C'est pour protester contre cette doctrine surprenante que C. I. Lewis proposa sa logique modale.
Il est bien sar que l'implication dite matérielle de Whitehead et de Russell n'était pas une implication. Il fallait arreter des dispositions pour ce qui regarde l'implication. Mais la logique modale n'est pas le seul moyen de le faire ni le meilleur.
Mieux vaut commencer par corriger une certaine confusion chez Whitehead et Russell. Ils n,ont pas distingué ≪si-alors≫ de ≪implique≫ . ≪Si-alors≫ lie entre eux des énoncés ; appliqué aux énoncés A et B, il donne un énoncé conditionnel dont les énoncés A et B sont les composants. ≪ Implique ≫, d'autre part, est un verbe transitif liant entre eux des substantifs qui peuvent servir de nom aux énoncés A et B. L'énoncé formé au moyen de ≪ implique ≫ n'est plus dès lors un énoncé contenant A et B, mais plutôt un énoncé qui parle des énoncés A et B. Or l'implication dite matérielle de Whitehead et de Russell était en fait un moyen de composer des énoncés et non d'én parler. On aurait dû l'appeler conditionnel matériel et lire ≪si-alors≫ , non ≪implique≫ . L'implication reste une affaire du second ordre, analysable plutôt au niveau ou nous parlons au sujet des énoncés, au sujet des formes d'énoncé et de la façon dont la logique les manipule.
Lewis laissa subsister la confusion et introduisit simplement un opérateur de nécessité, ≪nécessairement≫ ; en appliquant ce procédé a un conditionnel matériel oil, comme On l'appelle a tort, a une implication matérielle ≪si p alors q≫ , on obtient un conditionnel strict, ≪nécessairement, si p alors q≫ , qu,il appela implication stricte.
Avec de légères variations,le système de Lewis constitue encore la partie élémentaire de la logique modale actuelle. Certains logiciens, sans confondre ≪si-alors≫ avec ≪implique≫ ,adoptent maintenant la
logique modale ; je me demande toutefois si celle-ci se serait constituée, si dans le passé on n'avait pas fait la confusion.
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On connait une doctrine métaphysique étroitement liée a la logique modale : c'est l'essentialisme, selon lequel une chose peut posséder certains de ses caractères de manière essentielle et d'autres de manière accidentelle. Cela ne revient pas seulement a dire, comme il nous serait permis de le faire, que les mathématiciens sont des etres nécessairement doués de raison alors qu,ils n'ont pas nécessairement deux jambes, et que les cyclistes ont nécessairement deux jambes et ne sont pas nécessairement doués de raison. Cela équivaut plutôt a dire d'un individu, M. Coolidge par exemple, non pas en tant que mathématicien ou en tant que cycliste, mais simplement en tant qu,il est lui-même, qu'il est nécessairement ou essentiellement doug de raison et accidentellement pourvu de deux jambes. Cela équivaut a dire d'un certain nombre --- le nombre des planètes, par exemple, qui porte par ailleurs le nom de 9 --- que ce nombre, non pas en iani que 9 ni en iani que nombre des planètes, mais simplement par lui-meme, est nécessairement impair, tandis qu'il est de façon accidentelle seulement le nombre des planètes.
Nous pourrions dire que 9 est nécessairement impair sans faire profession d'essentialisme. Nous pourrions soutenir que la nécessité de l'imparité tient a la manière dont nous avons spécifié le nombre ; le nombre est nécessairement impair en iani que 9 et non en iani que nombre des planètes. Mais nous ne pouvons Plus éviter ainsi l'essentialisme quand nous nous mettons a utiliser l'adverbe modal ≪nécessairement ≫ en le soumettant a des quantificateurs. Car, dès lors, nous en venons a inférer qu'il y a un nombre, tout court, qui est nécessairement impair et qui est le nombre des planètes, quoique de façon non nécessaire. Ici l'essentialisme strict est indéniable.
Lewis n'a traité la logique modale qu'a son niveau le plus élémentaire : comme un calcul de propositions plutôt que comme une logique avec quantificateurs. C'est en 1946, dans les articles de Mlle Barcan (aujourd'hui Mme Marcus) et de Carnap que la logique modale quantifie devient explicite (1). Et, des lors, il n'y a plus moyen d'échapper a l'essentialisme. Pourtant certains aiment la logique modale sans aimer l'essentialisme. La, ils rencontrent done une frontiere.
On peut éviter la logique modale et ses consequences essentialistes en s'engageant sur l'autre voie que j'ai indiquée il y a quelques instants : s'en tenir au conditionnel matériel comme a un moyen de composer des énoncés, et ne reconnaitre l'implication qu'a ce niveau plus élevé ou nous parlons au sujet des énoncés. -
(1)Ruth C. BARCAN. A functional calculus of first order based on strict implication, Journal of symbolic Logic, II(1946), p. 1-16; Rudolf CARNAP, Modalities and quantifications, Ibid., p. 33-64.
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Si l'on procede ainsi, l'adverbe ≪nécessairement≫ est éliminé au profit d'un prédicat exprimant un attribut des énoncés et qualifiant donc des noms d'énoncés ; le prédicat ≪est nécessaire≫, par exemple, ou meme ≪est logiquement vrai≫.
Si l'on s'engage dans cette voie, l'implication est une relation entre énoncés et la nécessité est un attribut des énoncés. Une orientation voisine, qui évite également la logique modale et ses consequences essentialistes, conduit a parler non pas d'énoncés, mais de propositions conçues comme constituant en quelque manière les significations des énoncés. C'est ce que fait, Church (1), procédant a partir de certaines idées de Frege. L'implication devient une relation entre propositions, et la nécessité un attribut des Propositions.
Est-ce que cela nous ramène encore à la logique modale? Si l'implication relic des prepositions, le verbe ≪ implique ≫ ne va-t-il pas etre placé entre des noms de propositions, par consequent entre des énoncés, tout comme chez Lewis? Non ; un tel argument con fond ≪servir de nom ≫ et ≪signifier≫. Les noms de propositions ne sont pas des énoncés et c'est pourquoi ce que Church se propose de faire ne rétablit pas la logique modale et ses consequences essentialistes.
La logique modale nous menaçait d'essentialisme au moment précis ou l'adverbe modal ≪nécessairement ≫ était soumis a des quantificateurs ou, ce qui revient presque au même, en venait a gouverner des subordonnées relatives, comme dans ≪ il y a un nombre qui est nécessairement impair ≫. Or cette difficulté, si c'en est une, fait partie d'une difficulté plus large qui s'étend au delà de la logique modale et qui est, on n'en peut douter, une difficulté réelle. Il existe un grand nombre d'expressions qui créent des difficultés dès qu'elles sont soumises à des quantificateurs our qu'on leur fait commander des subordonnées relatives. Nous trouvons dans le langage de Russell les verbes d'attitude propositionnelle: ≪ il croit ≫, ≪ il souhaite ≫, ≪ il espere ≫, ≪ il sait ≫, ≪il s'étonne ≫, ≪il se réjouit ≫, etc... Ainsi, parallelement a notre exemple, ≪ il y a un nombre qui est nécessairement impair ≫, considérons l'exemple ≪ il y a quelqu'un dont Tom croit qu'il a dénoncé Catilina ≫. Appelez Cicéron le dénonciateur suppose, et Tom peut le croire ; appelez-le Tullius ou l'auteur du De Senectute, et Tom peut ne pas le croire ; et pourtant c'est toujours le meme dénonciateur.
(1) Alonzo CHURCH, A formulation of the logic of sense and denotation, in Paul Henle et al (edit.), Structure, Method, and Meaning : Essays in Honor of H. M. Schcffer, New-York, Liberal Arts, 1951.
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D'un certain point de vue le probleme des attitudes propositionnelles est plus redoutable que celui de la logique modale ; Car l'essentialisme lui-même n'en viendra pas à bout. La division entre les attributs du célèbre Romain qui incitent Tom. a croire qu'il a dénoncé catilina et ceux qui l'en font douter, n'est même pas déterminée, fat-ce obscurément, par l'essence de ce personnage antique ; elle depend aussi de Tom.
D'un autre point de vue encore, e probleme est plus redoutable que celui de la logique modale. On peut abandonner la logique modale sans grand dommage en adoptant l'une des deux voies déja évoquées. Mais on ne voit pas clairement comment se passer des expressions d'attitude propositionnelle. Elles ont un caractere intentionnel, comme on dit, et renvoient a un acte projeté ou a un contenu de pensée dont on ne peut donner une analyse en tefmes naturalistes ordinaires. Telle était en tout cas la position de Brentano il y a deux générations, et telle est celle de Bergmann et de Chisholm aujourd,hui (1) ; et je suis en peine d'argument satisfaisant a leur opposer. Ainsi, prenons un exemple aussi rudimentaire que celui-ci : le chien Tense que le chat est dans la grange. Je reconnais que nous ne pouvons invoquer que des positions et des mouvements d'objets dans l'espace pour prouver notre affirmation, a savoir que le chien pense que le chat est dans la grange. Je reconnais encore cecil le fait que le chien pense que le chat est dans la grange n'est rien de plus que la somme des états corporels et des activités du chien. Mais le fait demeure : nous n'avons aucun moyen général de paraphraser cette expression ≪pense que≫ sans recourir a d'autres expressions de nature désespérément semblable.
Il y a la une frontière blessante pour tous ceux d'entre nous qui partagent avec moi le sentiment que ce qui n'est pas dit en termes de réalités naturelles n,est pas expliqué. Peut-etre touchons-nous ici au point décisif dans le problème de l'ame et du corps. C'est plus qu'une frontière de la théorie logique, mais c'en est aussi une.
J'ai dessine plus haut une opposition entre la logique qui comprend les vérités ne faisant essentiellement appel qu'a des mots logiques, et la logique dans un sens plus large qui inclut l'analyse logique de Moore. Or la logique des attitudes propositionnelles n'est logique qu,au sens large, tout comme l'analyse logique de Moore ; car, bien entendu,≪ il croit ≫,≪ il souhaite≫ et les autres verbes d'attitude propositionnelle ne sent des mots logiques a aucun point de vue.
(1) Gustav BERGMAN, Intentionality, Archivio di Filosofa, 1955, P. 177-216 ; derick M. CEISEOLM, Perceiving: a Philosophical Study (Ithaca, Corell, 1957),chapitre II.
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La logique au sens étroit inclut, nous l'avons vu, la logique modale, si du moins nous acceptons la logique modale ; l'adverbe ≪nécessairement ≫,si nous lui reconnaissons droit de cite, est un mot logique. Mais qu'advient-il dans le cas ou, au contraire,nous traitons l'implication et la nécessité comme relation et attribut d'énoncés? ≪ Implique ≫ et ≪ nécessaire ≫ sont-its alors des mots logiques? Je dirais que non. Ce sont des mots métalogiques qui servent a parler logiquement des énoncés ; pas des mots logiques au sens oh nous parlons de vérités logiques ne faisant essentiellement appel qu'a des mots logiques. Ces mots logiques sont ≪ tons ≫, ≪ est ≫, ≪ ne... pas ≫, ≪ et ≫, ≪ si ≫, et autres mots semblables. D'autre part, ≪ implique ≫ et ≪ nécessaire ≫, Ou même ≪ logiquement vrai≫ , sont des mots que nous utilisons pour parler métalogiquement au sujet des énoncés qui sont logiquement vrais ou qui sont relies par implication. Nous sommes obliges de reconnaitre les deux niveaux de la logique : d'une part les vérités logiques et d'autre part le discours sur les vérités logiques et les énoncés logiquement reliés.
Au plus bas de ces niveaux, il reste encore un véritable choix: interpréter la logique de manière plus ou moins étroite,en délimitant le vocabulaire des mots logiques de manière plus ou moins étroite. Le deuxieme point de discussion, puisque nous en avons termini avec ≪ nécessairement ≫, C'est le connectif ≪∈≫ d'appartenance a une classe. Si celui-ci est compté comme mot logique, la théorie générale des ensembles fait alors partie de la logique. Ainsi font ceux qui, comme Frege et Russell, ont soutenu que la théorie des nombres et d'autres branches des mathématiques classiques sont réductibles a la logique. Ce a quoi elles sont réductibles, c'est la théorie des ensembles.
La tendance a faire rentrer la théorie des ensembles dans la logique fut encouragée par une certaine confusion. Ainsi, considérons n'importe quelle loi de la logique ordinaire des quantificateurs, par example cette loi simple.. étant donné un objet quelconque y' tout ce qui vaut pour y vaut pour quelque chose. Nous formulons cette loi schématiquement, en écrivant ‘Fy’ pour la première phrase sur y et en écrivant ‘(∃x)Fx’ pour l'expression quantifiée qui en découle. Les notations ‘Fy’ et ‘Fx’ occupent simplement ici la place de phrases semblables au changement près de la variable qui y figure... Le ‘F’ n'a pas de statut indépendant, il n'est pas lui-même une variable, il ne peut etre soumis a un quantificateur, il ne renvoie par lui-même ni a une classe, ni a un attribut, ni a quoi que ce soit. La confusion sur ce point, confusion du ‘Fx’ de la logique stricte avec le ‘x∈z’ de la théorie des ensembles, a conduit de nombreux logiciens à mettre dans le même sac la théorie des ensembles et la logique malgré des différences aussi importantes que les suivantes. -
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Tout d'abord, les vérités de la théorie des ensembles dependent de l'existence d'espèces particulières d'objets----ensembles ou classes ---- ; d'autre part, les vérités logiques au sens strict, quand on exclut ‘∈’ , ne traitent pas d'une sorte de choses a l'exclusion d'une autre. Ensuite le grand théorème d'incomplétude de Gödel (1931) s'applique a la théorie des ensembles. Gödel a montré qu'aucun système formel ne pouvait contenir comme théorèmes toutes les vérités de l'arithmétique élémentaire, a l'exclusion de toute fausseté ; et, Puisque l'on peut définir les nombres dans la théorie des ensembles, le résultat de Gödel s'applique aussi a la théorie des ensembles. D'autre part, il ne s'applique pas aux vérités logiques au sens étroit ; celles-ci peuvent toutes etre comprises dans un système formel complet et consistant.
Ces importantes lignes de clivage entre les vérités de la théorie des ensembles et les vérités logiques au sens strict donnent de bonnes raisons de considérer la théorie des ensembles comme des mathématiques extralogiques. Mais, mime dans ce cas, une interaction importante joue entre les deux domaines ; et Puis il y a eu cette tongue association née de la confusion ; je ne m'excuserai donc pas de dire quelques mots sur les frontières de la théorie des ensembles.
La théorie des ensembles a commence a exister pour de bon dans les années 1870 avec l'oeuvre de Cantor. Depuis 1897, date du paradoxe de Burali-Forti, un mal terrible ra menacée au coeur. Postérieur de quelques années, le paradoxe de Russell est plus simple et mieux connu : il n'existe pas de classe qui ait pour elements toutes les classes qui ne s'appartiennent pas a elles-memes.
Je viens de déplorer une vieille confusion entre le ‘Fx’ de la logique de la quantification et le ‘x ∈ z’, de la théorie des ensembles. Les paradoxes de la théorie des ensembles donnent a cette opinion une fameuse resonance;‘x ∈ z’ n'est meme pas sur le meme plan que ‘Fx’. On peut faire jouer le réle de ‘Fx’ a une phrase a laquelle il est impossible de faire correspondre un z. Ainsi, prenons par ‘Fx’ ‘x ∉ x’ ; le paradoxe de Russell montre qu'il n'existe pas de z dont les éléments soient et ne soient que les classes x telles que x ∉ x.
Le probleme fondamental de la théorie des ensembles devient celui-ci : établir quelles phrases, si on leur fait jouer le réle de 'Fx',admettent un z. Nous aimerions qu'elles le fassent toutes, mais ce n'est pas possible. Pour certaines, comme je viens de le noter, nous devons renoncer tout de suite. En ce qui concerne les autres, nous découvrons que certaines peuvent jouer le role, d'autres non ; et c'est la recherche de combinaisons intéressantes a bet égard qui a fait proliférer les theories des ensembles différentes au cours des soixante dernières années.
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La force constitue en ces matières un ideal naturel. La loi naive de l'existence des classes foumirait pour chaque condition concernant x une classe groupant seulement les choses x remplissant la condition.
Cela, nous ne pouvons l'obtenir en fait, mais l'idéal naturel reste de réduire au minimum les exceptions.
Depuis la grande découverte de Gödel, comme je l'ai note, nous savons qu'il n'y a pas d'espoir de trouver pour la théorie des ensembles un système complet. On peut montrer facilement, comme corollaire, que nous ne pouvons meme pas compléter la section spéciale de la théorie des ensembles qui comprend les affirmations d'existence des classes (1). On ne peut done pas vraiment réduire au minimum les exeptions a la loi naive de l'existence des classes. On essaie pourtant de réduire au minimum les entraves et la gene qu'elles font naitre et d'atteindre, dans les axiomes d'existence de classes qu'on adopte, une combinaison optimum de force et de simplicité.
Il est un moyen simple de retrouver une bonne partie de la force et de la commodité de la loi naive de l'existence des classes : admettre certaines classes en leur conférant le statut limits de ce que j'appelle des classes ultimes ; elles peuvent avoir des éléments, elles ne peuvent jamais etre éléments. Il est habituel aujourd'hui d'affecter le mot ≪ensemble≫ tout court a un emploi particulier et de le réserver aux classes qui ne sont pas ultimes.
L 'idée de classes ultimes a été introduite par von Neumann en 1926. Sa richesse tient a ce qu,elle nous permet de remettre en vigueur,sans porter atteinte a la consistance, la loi naive de l'existence des classes sous cette forme restreinte : étant donné une condition portant sur x, il existe une classe z --- qui au demeurant peut etre ultime --- dont les éléments sont tons les ensembles et les seuls ensembles x remplissant la condition. En fait, von Neumann n'allait pas aussi loin mais on peut le faire (2).
Meme si on le fait, la question de savoir quelles classes doivent exister n'est en aucune manière résolue ; elle est réduite a la seule question de savoir quelles classes doivent etre considérées comme ensembles. Sur ce point subsistent plusieurs possibilités de choix et on petlt ici encore rechercher une combinaison optimum de force et de simplicité.
(1) Cf. mon étude ≪ Element and number ≫, P. 140. Journal of Symbolic Logic 25,(1941), p. 135-149.
(2) C'est ce que j'ai fait dans Mathematical Logic, 1940.
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Comme seule l'inconsistance peut venir limiter la force, il devient intéressant d'explorer les moyens systematiques qui permettent de renforcer un système de la théorie des ensembles, indéfiniment, par étapes successives. Une technique appropriée est fournie a titre de sous-produit par la demonstration de Gödel elle-même, qui établit qu'on peut continuer indéfiniment, et qu'on n'a pas d'espoir d'obtenir une théorie des ensembles complete. En effet, considérons la demonstration de Gödel. Elle concernait en fait, je l'ai dit, l'arithmétique. Gödel montrait comment, étant donné un système S de l'arithmétique, on forme, dans la notation de l'arithmétique, un énoncé G qui est vrai si, et seulement si on ne peut le démontrer dans le système S. Alors nous pouvons utiliser l'argumentation de Gödel comme un moyen de renforcer systématiquement les systèmes de la manière suivante. Commençons par un systeme S1 de l'arithmétique des nombres et supposons-le consistant (sound): aucun de ses théoremes n'est faux. Formons alors, par le procédé de Gödel, un énoncé G1. Il est vrai si, et seulement si on ne peut le démontrer dans S1. Ainsi, puisque S1 est consistant, G est vrai et on ne peut le démontrer dans S1. Ajoutons alors G1 comme axiome supplémentaire ; le système resultant S2 est consistant. Le procédé de Gödel fournit alors G2 que nous pouvons ajouter comme axiome supplémentaire, obtenant ainsi un système consistant et encore plus fort, S3 ; et ainsi de suite.
On peut meme Prendre cette technique en bloc comme règle de deduction dans un système fort unique, Sω, qui comprendra ainsi tous les G1, G2... parmi ses théorèmes. Mais la encore le procédé de Gödel nous donne un énoncé vrai Gω de la théorie des nombres, qui n'est pas un théoreme de Sω. Si nous l'ajoutons a Sω comme axiome, nous obtenons un système Sω + 1, et nous voila repartis. Notre suite de systemes de la théorie des nombres progressivement renforcés s'étend ainsi dans le transfini.
J 'ai décrit ce moyen d'extension pour l'arithmétique, mais il s'applique également a la théorie des ensembles. C'est un mode d'extension qui a été étudié, avec des variantes, par Rosser, Wang et d'autres, surtout depuis 1950 (1).
(1) J. Barkley ROSSER et Hao WANG, Won-standard models for formal logic, Journal of Symbolic Logic, 15 (1950), p. 113-129 ; Solomon FEFERMAN, Transfinite recursive progressions of axiomatic theories, Ibid., 27 (1962), p. 259-316.
(2) J. C. SHEPHERDSON, Inner models for set theory, Ibid., 16 (1951), p. 161-190;17 (1952), p. 225-237; 18 (1953), p. 145-167.
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Avant d'expliquer un autre moyen systématique de renforcer les theories, je dois expliquer ce que Shepherdson appelle un modale interieur (2). On peut quelquefois montrer qu'une certaine region particulière de l'univers du discours d'une théorie des ensembles suffit a satisfaire tous les axiomes de la théorie, a supposer qu'ils soient consistants d'abord. Cela veut dire qqe les axiomes n'exigent pas qu'il y ait, dans l'univers, plus que cette region. Gödel a utilisé cette méthode en 1940 pour démontrer la possibiliti d,admettre deux hypothèses discutées qui ont occupe une place de premier plan dans l'histoire de la théorie des ensembles : elles sont connues sous les noms d'axiome de choix et d'hypothèse du continu (1). Gödel a démontré que ces deux hypothèses sont compatibles atec un certain système standard de la théorie des ensembles, si ce système est lui-meme consistant. Il la démontré en construisant un modèle intérieur de la théorie et en montrant que les deux hypothèses --- l'axiome de choix et l'hypothèse du continu ----sont vraies pour le modèle intérieur.
Dans les toutes dernières années, Azriel Levy et Bernays ont tire de l'idle de modèle intérieur une méthode systématique pour renforcer les theories des ensembles (2). Leur ingénieuse méthode ne s'applique qu'aux systèmes ou I'on a des classes ultimes aussi bien que des ensembles. Il consiste a renforcer un système S en y ajoutant un axiome de façon a disposer d'un ensemble qui puisse servir d'univers a un modèle intérieur de S. Un tel axiome, si l'on s'y prend bien, peut etre formalisé a l'intérieur de la notation du système tout comme un honnete énoncé de la théorie des ensembles au lieu de constituer un énoncé au sujet du système. On constate que l'addition d'un tel axiome peut augmenter considerablement la force d'un système, mesurée par ce que le système permet de démontrer dans les zones lointaines de la suite des ordinaux infinis. Notons encore qu'on peut employer cette méthode de façon réitérée.
Il arrive a l'occasion qu'un logicien insiste pour que, au lieu d'abandonner la loi naive de l'existence de classes, qui a conduit au paradoxe, nous changions la logique meme qui a fait du paradoxe une consequence de la loi. La logique a plusieurs valeurs, par exemple, admet une ou plusieurs valeurs ≪de vérité ≫ supplémentaires en plus de la vérité et de la fausseté. La question a éte explorée pour la première fois en 1920 par Lukasiewicz qui s'y intéressait pour des raisons
abstraitement mathématiques. Mais, en 1939, Botchvar, en Russie, a essayé a,utiliser une logique a trois valeurs, comme méthode permettant de régler la question des paradoxes. L'idee consiste a s'arranger pour que le paradoxe reçoive finalement la valeur mediane.
(1) Kurt GÖDEL, The Consistency of the Continuum Hypothesis, Princeton, 1940.
(2) Azriel Livy, Axiom schemata of strong infinity in axiomatic set theory, Pacific Jornal of mathematics, 10(1960), p. 223-238; Paul BERNAYS, Zur Frage der Unendlichkeitsschemata in der axiomatischen Mengenlehre, in A. ROBINSON (edit.),Essays on the Foundation of Mathematics (dediés a Fraenkel), Jerusalem, Hebrew University, 1961.
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Le rejet de la loi du tiers exclu est aussi associé a l'intuitionnisme de Brouwer et de ses disciples en Hollande. L'intuitionnisme découle d'une attitude épistémologique particulière face aux mathématiques ; les paradoxes sont bien loin de l'avoir provoquée a eux seuls. Ils y ont pourtant contribué.
La logique néo-classique des fonctions de vérité a deux valeurs et des quantificateurs est un chef-d'oeuvre de clarté, de simplicité et d'efficacité. Son adéquation, le fait qu,elle constitue en général un auxiliaire logique tout a fait approprié des mathématiques (la théorie des ensembles mise a part), tout cela n'est pas mis en question, mime par les intuitionnistes, sauf sur quelques points. C'est a mom sens une bien mediocre stratégie que de mutiler cette logique en invoquant les paradoxes de la théorie des ensembles. Je dirais mime que mos chances de comprendre la théorie des ensembles et ses paradoxes sont meilleures si nous ne derangeons pas ces principes tolerants et utiles qui ne pourraient jamais produire un paradoxe par eux-memes. Les paradoxes ne sont imputables, strictement, qu'aux lois qui régissent le ‘∈’ de la théorie des ensembles. Ce n'est que parmi ces lois-ci qu'il faut établir une quarantaine.
Je suis porte a pousser cette doctrine de la mutilation minimum un pen plus loin encore. Nous pouvons montrer que mime les classes,si l'on s'en tient aux classes finies, ne sont pas responsables de paradoxes. Je dis done : acceptons les classes finies sans restriction. Quelles que soient les choses existantes, admettons qu,il existe aussi des classes de ces choses combinées de toutes les manieres finies. Admettons la théorie non restreinte des classes finies au meme titre que la logique élémentaire comme partie commune de toutes les theories des ensembles.
C'est la une attitude revisionniste, car la théorie non restreinte des classes finies est en nette contradiction avec les theories qui admettent des classes ultimes. Mais les avantages des classes ultimes, qui sont sans doute importants, pourraient encore etre sauvés si l'on affaiblissait légèrement l'idée de classe ultime. Disons qu'une classe ultime n'est element que des classes finies, au lieu de dire qu'elle n'est element d'aucune classe. Nous pouvons avoir a la fois des classes ultimes dans ce sens et des classes finies sans restriction.
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Jusqu'a present, j'ai vante la force de la théorie et la richesse de l'univers comme les buts naturels de la théorie des ensembles. Cependant, il est tout aussi naturel de poursuivre un but oppose. Que ce soit par crainte devant les paradoxes, par dégout devant les abus de l'ontologie, ou par une tendance esthetique a l'economie des moyens,on peut, en théorie des ensembles, Zaire de la faiblesse un but. On peut chercher la faiblesse en décrétant que l'univers sera pauvre, ou en recherchant la faiblesse des affirmations et en laissant aussi indeterminée que possible la question de la richesse ou de la pauvrete de l'univers. Dans les deux cas, l'idée consisterait a admettre aussi peu de choses que possible, tout en restant capable d'obtenir dans les mathématiques classiques tout ce a quoi la theorie des ensembles suffit normalement --- ou un peu moins, si l'avarice philosophique est autorisée a rogner un peu sur les proprietes mathématiques.
Sur ce chemin, on trouve encore l'intuitionnisme, mais non seulement l'intuitionnisme. Il est aussi possible de conserver intacte la logique neo-classique et de ne restreindre queles lois de l'existence des classes. Le mot d'ordre, dans ce cas, est la Prédicativité, comme il l'etait deja il y a soixante ans chez Poincare. Une théorie des ensembles predicative assure l'existence de la classe z de tous les objets satisfaisant une condition donnie, pourvu seulement que la condition ne disc rien au sujet de z. Cette exigence, qui peut etre exprimee moins vaguement, se révèle comme une restriction serieuse. Métaphysiquement, elle semble constituer une bonne partie de la difference entre le realisme et le nominalisme. La theorie predicative des ensembles est quelque chose de voisin du conceptualisme.
Du fait que son rendement mathématique se trouve dans dne certaine mesure limité, la théorie predicative des ensembles a eu moins d'adeptes que la théorie non-prédicative. Russell a tenté de la lancer, dans les premiers temps. Weyl s'y employait en 1918. Et, dans leur dissidence, les intuitionnistes ont suivi un chemin qui s'y apparentait. Par la suite, l'activite a été faible dans le domaine de la théorie predicative des ensembles et dans d'autres mathématiques constructivistes. Mais au cours des dernieres années, elle a ete animee d'une vie nouvelle. Kreisel a decouvert que d'une demonstration appartenant de façon typique aux mathematiques classiques, on peut extraire One information supplementaire de nature constructiviste (1). Une connexion remarquable se développe ainsi entre les deux styles de la recherche mathématique. De plus, indépendamment de cette evolution, la théorie predicative des ensembles reçoit de la théorie des ensembles hyper(-)arithmétique des nombres une signification nouvelle. Sur ce point, je donnerai en quelques mots un aperçu partiel avant d'en terminer.
(1) Georg KREISEL, La prédicativité, Bulletin de la Societe mathématique de France, 88 (1960), p. 371-391.
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J'ai cite plusieurs raisons pour lesquelles on peut vouloir se passer de la théorie predicative des ensembles. Or il y a encore une autre raison, independante de la théorie predicative des ensembles, pour preferer obtenir n'importe quel résultat donné avec le minimum de moyens fournis par la théorie des ensembles: c'est l'adaptabilite. Plus maigres sont les moyens utilisés pour démontrer un résultat donné, plus large sera la variété de theories des ensembles a laquelle la demonstration aura chance de s'appliquer ; et plus il sera aise de modifier la theorie adoptée sans menacer cette demonstration. Si en particulier nous developpons l'arithmetique des nombres naturels sans faire appel aux classes infinies - et avec un peu de dextérité nous pouvons le faire - alors notre travail convient immediatement a n'importe quelle theorie des ensembles non limitée aux classes finies. Et j'ai soutenu tout a l'heure qu'une theorie des ensembles ne devait pas eire limitee a ses classes finies.
Replions-nous maintenant vers la logique au sens encore plus strict, qui exclut ‘∈’ du vocabulaire logique. Son vocabulaire special ne comprend des notations que pour les fonctions de verite et la quantification ; ajoutons si nous voulons l'identite, cela n'a pas grande importance. Il reste encore, associée a cette logique, une tâche métalogique, comme nous l'avons vu : le discours sur les schemas suivant lesquels les mots logiques sont disposes, et le problème de savoir quels schémas correspondent a un énoncé logiquement vrai ou font qu'un énonce en implique un autre. C'est un sujet plus large qu'il n'y parait, car il couvre la question générale de savoir si un théorème, dans une théorie formalisée quelconque,est logiquement impliqué par des axiomes donnes. Si on pouvait trouver, pour s'en assurer, un moyen de controle mecanique, la tâche des mathématiciens s'evanouirait d'un coup.
Un tel contrôle est impossible. Church et Turing l'ont montre en 1936, par un raisonnement appuyé sur le théorème de Gödel établissant l'impossibilité de rendre complete l'arithmétique. La logique,meme si on la prend au sens très étroit, la logique des fonctions de verité et des quantificateurs n'admet pas de procédé de décision général ; il n'y a pas de procédé mécanique pour contrôler la validité et l'implication. Pourtant cette logique est complete : la validité et l'implication peuvent toujours etre demontrées dans le cas ou elles subsistent. Mais, quand elles ne subsistent pas, nous ne pouvons pas en general verifier qu'elles ne subsistent pas.
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Pour decouvrir et démontrer ce fait remarquable, il a fait former le concept de procédé mécanique. Entre 1930 et 1936, divers logiciens y parvinrent par des cheminements trts différents mais qui tous se révélèrent équivalents. Church proposa un critère du mécanique en termes de transformations effectuées selon les règles d'un certain système de la théorie des ensembles. Gödel et Herbrand fondaient leur critère stir des transformations arithmétiques elementaires. Turing et post usaient de critères fondés sur une caricature de machine a calculer. Kleene et d'autres démontrèrent que tous ces critères étaient equivalents, et on peut aujourd'hui les regrouper tous sous le terme technique de ≪ récursivité≫.
Cette notion est devenue la pierre angulaire de la théorie de la demonstration. Et, en même temps, elle est la pierre angulaire de la théorie generale des machines a calculer. En allant au fond de ridge de procede mecanique, Turing, Kleene et les autres ont identifie l'essence de la machine a calculer. La machine existait depuis longtemps mais son essence n'avait pas ete identifiée. Aujourd'hui, les ingenieurs euxmemes parlent des machines de Turing. lei, comme en physique nucléaire, il s'est produit une rencontre entre les esprits le plus abstraitement théoriques et les esprits le plus concrètement pratiques.
La théorie de la recursivite a donne naissance, grace aux travaux ulterieurs de Kleene, a une hierarchie remarquable (1). Pour commencer, nous avons les ensembles recursifs de nombres naturels. Est récursif, si on se place au point de vue intuitif, un ensemble dont nous pouvons vérifier mécaniquement si un nombre lui appartient i ensuite, nous avons les ensembles récursivement énumérables de nombres naturels ; nous ne pouvons pas en général verifier l'appartenance a un tel ensemble, mais pourtant chaque element de l'ensemble a, pour ainsi dire, un certificat d'appartenance qui, si on le trouve, peut etre verifié. Au-dessus, nous trouvons le mime decalage a un niveau supérieur, du moment ou nous essayons d'imaginer ce que peut bien etre ce décalage ; les certificats ont leurs certificats. Cette hiérarchie d'une vérifiabilité toujours plus ténue se poursuit indéfiniment et a chacun de ses niveaux on peut donner des exemples sans sortir de ce qu'on appelle l'arithmétique élémentaire. En fait, il existe aussi a chaque niveau une sorte de ramification que j'ai omise dans mon esquisse.
(1) Stephen C. KLEENE, Recursive predicates and quantifiers, Transactions of the American Mathematical Society.,53 (1943), p. 41-73.
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Les ensembles situés a l'un quelconque de ces niveaux sont dits arithmétiques. An-dessus d'eux, la hiérarchie reprend a un niveau dit hyper-arithmétique. Je ne décrirai pas celle-ci, sauf a noter qu'il semble y avoir un lien remarquable entre ene et la theorie predicative des ensembles. Le niveau hyper-arithmétique est eleve si l'on se place au point de vue de la hiérarchie itablie par Kleene dans la théorie de la demonstration, mais, considere a l'echelle extravagante de la theorie générale des ensembles, il est bas. Il semble résulter des travaux de Kreisel et d'autres que les ensembles hyper-arithmétiques pourraient bien etre tons les ensembles de nombres naturels que l'on peut obtenir dans la théorie predicative des ensembles (1).
Un peu plus haut, j'ai abandonné la théorie des ensembles pour la logique restreinte, celle des fonctions de verite et des quantificateurs, mais ce fut pour me détourner aussitôt vers la théorie de la demonstration de niveau superieur. Qu'en est-il maintenant de la logique restreinte? Les techniques déductives ont fait des progrès. Celles-ci gagnent en importance a mesure que nous songeons a utiliser les machines a calculer pour hâter la recherche mathematique ; en effet, on peut programmer une machine de façon a lui faire chercher des demonstrations et non pas seulement a lui faire procider a des vérifications ou a des calculs. Mais je ne m'arreterai pas a ces progrès. Les questions de ce genre ont beaucoup moins d'importance theorique que bien d'autres que j'ai omises dans cette presentation d'ensemble --- la logique combinatoire par exemple, que j' ai laissée de côté seulement parce qu'elle ne se liait pas avec mes autres themes. Mais je mentionnerai pour conclure un curieux jeu de ≪squeeze ≫ que l'on pratique dans la logique des fonctions de verite et de la quantification depuis plus de trente ans. Nous avons d'un côté le développement des tests de validité. Nous savons qu'il est impossible d'avoir un test de validité adequat pour la classe de toutes les formules dans cette partie de la logique, mais on peut etablir des tests adequats pour des sous-classes de formules de plus en plus vastes. Par exemple, il se trouve que nous disposons d'un test de validité pour les formules dans lesquelles aucune phrase atomique ne lie deux variables. Nous avons également un test de validité pour les formules dans lesquelles tous les quantificateurs sont initiaux, les quantificateurs universels pricédant les quantificateurs existentiels.
(1)Cf. KREISEL, OP. cit.
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D'autre part, nous assistons all développement des procedures de reduction. La question de la validité d'une formule dans la logique des fonctions de verite et des quantificateurs peut, par exemple, etre réduite a la question de la validité d'une formule associée ne contenant, comme phrases atomiques, que ‘Fxx’,‘Fxy’,‘Fyz’, etc..., ou la lettre arbitraire ‘F’ est toujours unique. Elle peut egalement etre reduite a la question de la validité d'une formule ne contenant que trois quantificateurs. Dreben, Wang et d'autres ont récemment progresse dans cette recherche de tests de validité et de procedures de reduction (1). Dans le passé, ceux qui ont le plus fait avancer la question sont Ackermann, Gödel, Kalmar et Suranyi (2).
Les progres sur ces deux fronts --- tests de validité et procedures de reduction --- ont permis, par des méthodes. diverses, de diminuer l'ampleur de la catégorie de formules logiques pour lesquelles nous n,avons pas de test general de validite. Tout progrès concernant les tests de validite retranche a. cette categorie ce qui peut eire aiors soumis aux tests ; tout progrès concernant les procedures de reduction supprime une partie de la categorie en resserrant les problèmes de validité sur la partie qui reste. Les progrès sur ces deux fronts sont payants car ils rendent plus tolerable la gene apportee par le theorème d'indécidabilite. Mais on sait depuis le debut que le travail doit devenir de plus en plus difficile et que, par principe, il est interminable. Il y a la une frontière de la theorie logique, et même une frontière au beau milieu de son territoire. Nous pouvons continuer a la réduire. Nous ne pourrons jamais l'effacer.
W. V. QUINE,
Harvard University.
Traduit par Jacques DERRIDA et Roger MARTIN.
(1)A. S. KAER, E. F. MOORE et Hao WANG, Entscheidtlngs problem reduced to the AEA case, Proceedings of the National Academy of Sciences (U. S. A.), 48 (1962),p. 365-377 ; Burton DREBEN, A. S. KAHR et Hao WANG, Classification of AEA formulas by letter atoms, Bulletin of the American Mathematical Society, 68 (1962), p. 528-532.
(2) Cf. Wilhelm AcKERMANN, Solvable Cases of ike Decision Problem, Amsterdam,North-Holland, 1954 (voir aussi les références qui y sont faites).
*
誤植と思われるものを()内のように訂正した。
distribuât→(distribut) , hyperarithmétique→(hyper-arithmétique)
参考:
以下作業用年表。
(1812)ヘーゲルHegel( 『大論理学』)191
1870 カントールCantor 1870年代に活躍。199
(1874)ブレンターノBrentano (『経験的立場からの心理学』) 197
(1879)フレーゲFrege ("Begriffsschrift"概念記法) 196
(1884)フレーゲ(『算術の基礎』) 196
1897 ブラリ=フォルティ、パラドックスparadoxe de Burali-Forti(「超限数についての疑問」) 199
(1900)フッサールHusserl(『論理学研究』Logische Untersuchungen) 191
1902 ポアンカレPoincare(『科学と仮説』) 204
(1903)ムア G. E. Moore, Principia Ethica 『倫理学原理』 深谷昭三(訳) 192
1910 ホワイトヘッドとラッセルWhitehead et Russell (50年前)(『プリンキア・マテマティカ』1910-13) 194
1918 ワイル Weyl (「連続体論」The Continuum) 204
1920 ルカジェヴィッツŁukasiewicz 202
(1923)ブラウアーBrouwer(「排中論」Law of excluded middle)203
(1925)デューイDewey( "Meaning"ーー" Experience and Nature "「経験と自然」?)191
1926 フォン=ノイマンvon Neumann en 1926(発見は1925?)、クラスの究極のアイデア導入 200
1930 (1930年から1936年にかけて、さまざまな論理学者がさまざまな証明を得た) 205
1931 ゲーデル.Gödel、不完全性定理 199
(1932)ルイスC. I. Lewis 194 、(単なる事例?)クーリッジM. Coolidge 195
1936 チャーチとチューリングChurch et Turing 、ゲーデルの定理を推論によってサポート 205
(1936)(ヒルベルトHilbert、計算可能数、ならびにそのヒルベルトの決定問題への応用) ×
1938 デューイLogic: The Theory of Inquiry 191
1939 Botchvar, en Russie, a essayé a,utiliser une logique a trois valeurs, 202
1941 クワインQuine ≪ Element and number ≫(1941),(Selected Logic Papers, (1966).) 200
(1943)クレーネ(クリーニ)Kleene 、再帰的な述語と量、(原始帰納的述語) 206
1946 ルドルフ・カルナップCarnap ミスBarcan(現在の夫人マーカス)、様相、モダリティと定量化 195
(1949)ライルRyle(『心の概念』) 193
(1954)ライルRyle( Dilemmas (1954), a collection of shorter pieces 『ジレンマ--日常言語の哲学』勁草書房、1997年)
(1954)アッケルマンWilhelm AcKERMANN,『記号論理学の基礎』 208
1959 ゲルナーGellner Words and Things、 195
1960 クライゼルKreisel 204
(1960)アズラエルレヴィとベルナイAzriel Levy et Bernays (公理的集合論 axiomatic set theory", ) 202